03.08.2007
La dette qui tue !
L'express | Editorial de Christophe BARBIER | Juillet 2007
Cela pourrait s'écrire aux frontons des maternités: "Toi qui entre dans la vie, 42 000 Euros de dette t'attendent".
Que les experts se déchirent sur le chiffre exact n'y change rien, chaque Français doit une somme colossale aux créanciers du pays. Certes, aucun d'entre nous n'aura jamais à rembourser un centime personnellement, puisque cette dette est celle de la nation, qui n'a ni compte courant ni échéance bancaire. L'Etat se veut immortel; il peut donc supporter la maladie incurable de l'endettement. Nation créatrice de richesses, attachée à l'Etat et plus solidaire qu'égoïste, peuplée de ménages eux-mêmes peu endettés, la France ne risque pas la faillite. Souffle court dans une carcasse musclée, elle fait songer au slameur Grand Corps malade, dont la béquille n'entrave pas le talent. Jusqu'au jour où ce grand pays malade ne s'appartiendra plus, ligoté par les mille perfusions de ses créditeurs, désormais en majorité étrangers. Aujourd'hui stabilisée aux deux tiers du produit intérieur brut, la dette s'élèvera en 2050 à 400% de ce PIB si l'on ne change pas de politique!
On comprend donc que la bonne nouvelle de la semaine passe inaperçue: le déficit budgétaire de l'année dernière n'est «que» de 36 milliards d'euros et des poussières, alors que la loi de finances avait prévu 10 milliards de plus. Bref, l'Etat continue à creuser son trou financier, mais moins vite qu'avant. On nous assure que, à ce niveau, la dette cesse de croître, que la France n'a plus besoin d'emprunter pour payer les intérêts de ce qu'elle doit déjà. Maigre joie que de quitter le galop de la cavalerie banqueroutière pour revenir au petit trot insouciant des déficits ordinaires. D'autant qu'il se court au champ de nos finances publiques un périlleux steeple-chase. Dans quelques semaines seront connus les comptes sociaux de la nation, puis ceux des collectivités locales. Si l'on a dilapidé dans les régions ce que l'on a économisé à Paris, et dépensé dans les hôpitaux ce qu'ont épargné les ministères, l'addition du printemps fera une triste chute au compte d'hiver. Sans oublier les futures retraites des fonctionnaires, ruineux horizon, et d'autres inconnues qui font du calcul de nos engagements une équation en apparence insoluble. La France ne sait plus où donner de la dette. Il est même des spécialistes pour soutenir qu'un budget plus rigoureux, sevrant l'économie de dépenses publiques, nuirait à la croissance, comme si réparer les fuites du réservoir tarissait la source qui le remplit!
Si l'équation est impossible à résoudre, c'est qu'il s'agit non plus de faire mieux, mais de faire autrement. Or il est en matière de dette des sourds et des muets. Les sourds sont les Français, prompts à compter leurs sous, mais qui ne veulent pas entendre l'écho abyssal de la tirelire vide de la nation. Les muets sont les candidats à l'Elysée. Seul François Bayrou, Tirésias à calculette, ne cesse de mettre en garde les électeurs, prouvant, chiffres à l'appui, qu'on ne peut pas tout promettre pour demain, puisqu'on ne pourra pas payer grand-chose. Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, eux, dessinent la France radieuse de 2012, quand il s'agit d'assurer celle, ténébreuse, de 2050. Pour que notre confort d'aujourd'hui ne soit plus financé par les impôts de nos petits-enfants, les chantiers sont pourtant connus: profiter de la réforme de 2008 pour endiguer le fleuve des retraites; décentraliser à nouveau, et mieux; utiliser et non subir les exigences européennes. A Saint-Denis, Grand Corps malade scande à l'adresse des cartésiens qui nous gouvernent ou aspirent à le faire: «J'espère, donc je suis.» Un beau slogan présidentiel...