"Vouloir afficher ce 'thermomètre' relève du mensonge organisé"
Challenges.fr | 31.07.2007 | 13:40 |Par Philippe Sabater, délégué SNU-ANPE-FSU, membre du collectif Les Autres Chiffres Du Chômage (ACDC).
Le ministère de l'Emploi a publié lundi le taux de chômage pour le mois de juin, évalué à 8%, soit 1 point de moins qu'il y a un an. Que vous inspire cette annonce ?
- Par cette annonce symbolique, le gouvernement suit la même logique que son prédécesseur, celle du chiffre fatidique. Ces statistiques ne révèlent pas à quel point notre société va mal et est au bord de la rupture, et vouloir afficher ce "thermomètre" relève du mensonge organisé.
On constate effectivement une augmentation des emplois créés, mais il faut regarder la nature des emplois proposés.
Le modèle français évolue vers un modèle plutôt anglo-saxon, avec une modification de la nature des emplois, plus précaires. Le marché du travail britannique utilise d'ailleurs lui aussi des statistiques qui ne révèlent pas son état actuel, du fait de sa flexibilité ou du classement de nombreux travailleurs dans la catégorie des travailleurs handicapés. Cela conduit à une "évaporation" de la réalité du chômage en Grande-Bretagne.
Aujourd'hui, ACDC demande à ce qu'il y ait une réflexion sur les différents indicateurs, sinon le taux de chômage annoncé continuera à diminuer chaque mois, et l'on progressera forcément vers les 5% fixés comme objectif de plein-emploi par Nicolas Sarkozy.
Quels indicateurs proposez-vous pour évaluer plus fidèlement le marché de l'emploi français ?
- Il faudrait associer l'ensemble des catégories de chômeurs, dont notamment les catégories 2 et 3 [qui regroupent respectivement les personnes à la recherche, non d'un CDI à temps plein, mais d'un emploi à temps partiel et d'un contrat temporaire ou à durée déterminée, ndlr], pour parvenir à un chiffrage plus juste, une vision plus fine.
Certaines constituent en effet des "niches", comme la catégorie 4, celle qui regroupe les gens en formation ou en contrats aidés.
Quand on ajoute à ces catégories les Rmistes, les jeunes qui quittent le système scolaire et ne s'inscrivent pas aux Assedic car ils ne seront pas indemnisés, les personnes non indemnisées (50% des chômeurs) qui ne répondent pas aux convocations et sont radiées… cela fait beaucoup de gens qui ne sont pas rattrapés par les mailles du filet. Personne ne sait combien ils sont, mais ils sont de plus en plus nombreux.
De plus, nous pensons également que le spectre du chômage doit être revisité pour que des nouveaux indicateurs mesurent la précarité et surtout les emplois inadéquats, c'est-à-dire le fait pour des gens d'accepter un emploi qui n'est pas lié à leurs compétences et à un niveau de salaire inférieur à leur qualification.
Qu'attendez-vous, à l'automne, du rapport de l'Inspection générale des Finances et de l'Inspection générale des affaires sociales, chargées par le gouvernement de "faire toute la transparence" sur les chiffres du chômage, et de l'enquête emploi de l'Insee ?
- Le but d'ACDC, qui s'est créé en janvier 2007, juste avant la période électorale, est de donner à l'ensemble de la population des éléments de réflexion et d'analyse sur le chômage aujourd'hui, mais aussi sur les travailleurs pauvres et le travail inadéquat.
Aujourd'hui, une mission a effectivement été lancée pour affiner les indicateurs. Notre objectif a donc été pris en compte, mais cela n'ira sans doute pas au-delà d'un effet de correction minimal pour faire taire la polémique.
En ce qui concerne l'enquête emploi, on sait vraisemblablement que l'Insee annoncera plutôt un taux de 8,5% ou 8,6%, et que ce que nous supputions était donc vrai. Il suffit également de regarder les statistiques d'Eurostat [qui calcule le taux de chômage au sens de l'Organisation internationale du Travail, évalué à 8,6% en France, ndlr] pour s'en rendre compte.
Propos recueillis par Jean-Marie Pottier
(le mardi 31 juillet 2007)