l'affaire libyenne vu du côté belge, pas tout à fait le même son de cloche....
Comment Tunis a sauvé le dossier des infirmières bulgares
LALLEMAND,ALAIN
mercredi 25 juillet 2007, 10:51
La négociation ayant permis aux infirmières et médecin bulgares de retrouver leur pays s'est déroulée sur quatre continents, tissée d'intérêts nationaux Du Qatar à Washington, de Bruxelles à Tunis, où a été mis en place un Fonds spécial Benghazi. Récit secret d'un heureux dénouement.
C'est à 8h50 ce mardi, grâce à l'avion présidentiel français, qu'ont atterri à Sofia les cinq infirmières bulgares ainsi que le médecin d'origine palestinienne retenus en Libye plus de huit années suite à la contamination d'enfants de Benghazi par le virus du sida. Le choc est à peine imaginable : les infirmières avaient quitté un pays qui n'appartenait pas à l'Union européenne. Le médecin, lui, découvre un nouveau pays dont il est désormais le citoyen.
Dans la première demi-heure de cette vie nouvelle, il fut annoncé que le président bulgare Guéorgui Parvanov les avait graciés, « sur la base de sa conviction catégorique de leur innocence ».
1 Qui a négocié ? C'est un jeu d'équipe entamé avant la présidence britannique de l'Union européenne (juillet 2005) et mis en œuvre par la délégation de l'Union à Tunis. Les prémices se trouvent déjà dans le « plan d'action contre le VIH pour Benghazi » lancé en novembre 2004, sorte de perche tendue, « humanitaire contre clémence judiciaire ». Mais ce n'est qu'une esquisse, impuissante à débloquer la situation. Tony Blair, alors premier ministre britannique, ainsi que la commissaire européenne aux Relations extérieures Benita Ferrero-Waldner, joueront un rôle décisif dans la mise en place d'un outil plus lourd : le Fonds spécial Benghazi, où se noue – à l'échelle de plusieurs millions d'euros cette fois – l'essentiel de l'accord. Il est mis en place par la Libye et la Bulgarie, sous l'égide de l'Union (donc a priori hors cadre budgétaire européen), et dirigé par Marc Pierini. Marseillais d'origine, fin connaisseur des relations méditerranéennes, il est le « sphinx » de ce dossier, celui qui connaît les chiffres mais ne parle pas. Ancien consultant établi à Bruxelles, il est, après 30 ans d'Europe, chef de délégation de l'Union à Tunis, avec rang d'ambassadeur auprès de la Libye.
Le président Nicolas Sarkozy n'est donc pas le premier français sur la balle. Mais celui-ci semble s'être emparé du dossier avant son élection : l'ancien ministre de l'Intérieur connaît bien les coulisses de Tripoli (lire en page 9). Son intervention de dernière minute aura été décisive, remarque la Commission européenne, même si le président n'a pas modifié l'accord qui « était déjà sur la table ». Le Qatar, ami de toutes les parties, allié majeur de l'Occident dans la péninsule arabe, jouera également un rôle de « médiation » panarabe. Ce n'est que maintenant qu'on comprend pourquoi l'émir du Qatar était invité d'honneur du 14 juillet.
2 Sur quels terrains ? La Libye avait tout d'abord besoin de fonds pour indemniser les 460 familles des victimes. Des fonds « expiatoires », acceptables par l'opinion publique libyenne, mais qui ne pouvaient provenir ni de la Bulgarie ni de l'Union, lesquels ne pouvaient endosser aucune responsabilité. La Libye (et l'Europe, indirectement) a également besoin d'une riposte appropriée à l'épidémie de sida. Sur ce point, Tripoli cherche un engagement sanitaire à long terme de l'Union.
Enfin, Tripoli, déjà bénéficiaire de la « politique de voisinage » de l'Europe, veut obtenir une « normalisation » de ses relations avec les pays européens et décrocher un « accord de partenariat » avec l'Union, sachant que cinq pays de l'Union absorbent à eux seuls 78 % des exportations libyennes, y compris les exportations énergétiques.
Et puis il y a l'indicible, ces dossiers sur lesquels nous demeurons aujourd'hui dans le flou et qui ont immanquablement été abordés en bilatéral : la technologie nucléaire civile, les techniques de forage pétrolier (et les concessions pétrolières ?), les accords bilatéraux de défense, l'entretien de matériel militaire, la sécurité apportée par la Libye à l'Europe en matière d'immigration, la coopération antiterroriste. Enfin des demandes évidentes au sortir d'une longue période d'embargo, et ouvertement profitables aux deux parties : les infrastructures routières, ferroviaires, portuaires.
3 Qui paye ? Par-delà toutes les promesses de rapprochement européo-libyen qu'a engrangées Tripoli, on tente de comprendre comment chaque famille libyenne sinistrée aurait reçu un million de dollars lundi dernier, soit un total d'environ 460 millions de dollars, alors que l'Union, la France, la Bulgarie affirment en chœur ne pas avoir versé un seul euro. L'addition coûtera pourtant 598 millions de dinars (348,5 millions d'euros), confirmait hier M me Ferrero-Waldner, tandis que le ministre libyen des Affaires étrangères Abdelrahman Chalgham affirmait que « tout le monde a payé le Fonds, y compris l'Union européenne et la France. Ils ont couvert les sommes versées aux familles et même plus ».
La réalité est complexe : les familles ont perçu un certain montant (une avance qui les rassure, semble-t-il, et non pas un million de dollars) via la Fondation Kadhafi (libyenne). La fondation, elle, a reçu cet argent du Fonds Benghazi, administré par l'Union. Par qui est alimenté ce fonds ? « Par la Libye, l'Union et les Etats-Unis », affirmait il y a une semaine le fils du « guide » libyen, Sei al-Islam Kadhafi. En fait, le Fonds Benghazi n'est alimenté ni par l'Union en tant qu'entité, ni par la Bulgarie en tant qu'Etat, mais par des apports divers, notamment non gouvernementaux : italiens ? « Plusieurs centaines de milliers d'euros » versés proviennent bien d'Italie, confirme Rome, mais pas de l'Etat. Il s'agit « d'autres organismes ». Les Etats-Unis ont également versé leur écot, confirme Washington. Mais pas en ligne directe : il s'agit de 300.000 dollars versés par le Département d'Etat via le Baylor Medical College, dans le cadre de la lutte contre le sida en Afrique. La Bulgarie elle-même est représentée par une ONG. Etc. In fine, par ces multiples canaux, tant la France que l'Italie, Malte, le Royaume-Uni, etc., participent à la constitution du Fonds.
Voilà l'astuce du Fonds Benghazi, tel que constitué par Marc Pierini, et qui explique pourquoi, dans le même temps, l'Europe et la Bulgarie peuvent affirmer n'avoir rien payé (en tant qu'entité politique), alors que Tripoli affirme que l'Europe et la France (par leurs ressources associatives, parastatales voire privées) ont effectivement payé.
Mais comment expliquer alors que tant Bruxelles que Tripoli parlent aussi d'« argent libyen » ? Parce que le Fonds, en ce début juillet, ne rassemblait que moins de 130 millions d'euros. L'Europe a donc emprunté les ressources nécessaires à un organisme public libyen, le Fonds libyen de développement. Techniquement, l'argent versé lundi dernier aux familles est donc bel et bien « libyen ». Mais l'Europe s'est engagée à rembourser les sommes empruntées. CQFD.
http://www.lesoir.be/actualite/monde/infirmieres-bulgares-comment-2007-07-25-541494.shtml